Patrice Martin : “C’est la force du cinéma, on ne peut jamais vraiment prédire le résultat d’un film”
Grand passionné de la salle de cinéma, Patrice Martin est Directeur Adjoint de programmation au sein du groupe CGR Cinémas. Après 14 ans dans l’exploitation, il négocie désormais la sortie des films dans les 71 établissements CGR. Venez à la découverte d’un métier, véritable pilier du loisir numéro un des français.
En quoi consiste votre métier ?
La programmation, comme on dit dans l’exploitation, c’est un peu le nerf de la guerre. On a de beaux cinémas, avec de belles salles, pour bien accueillir les gens. Donc ce qu’il faut c’est des films, pour que les gens aient envie de les voir dans nos salles. Notre métier est un peu compliqué. On négocie avec des distributeurs, notre but est d’obtenir les films qui, pour nous, auront le meilleur succès auprès du public.
Tous les lundis, on finalise la négociation des sorties du mercredi qui suit, en fonction des sorties et des chiffres qu’on a eus la semaine passée. Ensuite, tout au long de la semaine, on travaille sur la programmation à long terme. On peut avoir 3 mois d’avance. Il faut être visionnaire mais également être capable de remettre en question nos prévisions. Par exemple, un film peut gagner en plus-value à l’approche de la sortie, qui dépend du travail de promotion du distributeur. Il faut rester vigilant. Tout remettre à zéro toutes les semaines, ce n’est pas ce qu’il y a de plus évident.
Quels sont les critères qui justifient des programmations différentes selon les cinémas ?
Il y a en moyenne, par an, 700 films qui sortent, ce qui fait entre 12 et 13 nouveaux films par semaine à sortir. Ça fait beaucoup. C’est pour ça que l’on évite de sortir un même film dans toutes nos salles, et qu’il y a des différences selon la typologie des salles.
Il y a d’abord la grande exploitation, en général des grands multiplexes, situés en extérieur de la ville, proches des zones commerciales. Ils sont du type familial et blockbuster. Ensuite la moyenne exploitation, avec plus de programmations en VO, elle propose des films familiaux et classés Art et Essai. Et enfin, la petite exploitation, qui représente des établissements plus petits avec peu de salles, ils ont un profil plutôt art et essai, mais pas que. Il faut prendre en considération la sociologie des publics, la fréquentation, la taille de la ville et les autres cinémas concurrents.
Quels outils mobilisez-vous pour prévoir le succès d’un film ?
Pour les films qui sortent à l’étranger, on regarde aux États-Unis où ils sortent avant en général. On regarde leurs tenus, leurs ouvertures sur leurs propres pays. Il y a aussi l’hebdomadaire “le Film Français”, qui ne parle que de cinéma et de télévision. On a les audiences télé, le box-office des films à l’étranger, ainsi que des 100 premières salles en France. On regarde les réseaux sociaux, des logiciels, il y a plein d’outils différents. On fait attention à la promotion, à la présence d’un film dans les médias et dans les villes.
Il faut faire un travail important d’analyse de la date de sortie et de la concurrence avec d’autres films, ou une série de films d’un même genre, il y a la primeur à la nouveauté. Il y aussi l’attente du film, il faut analyser le casting et le réalisateur, on prend également en compte le sujet, la période de sortie. Enfin, il y a le distributeur qui doit vendre son film, avec la promotion. C’est la force du cinéma, on ne peut jamais prédire un succès. Au final, tout dépend de la qualité du film.
Les cinémas CGR proposent des projections de grands classiques du cinéma. Quels sont les enjeux de ces séances spéciales ?
Ces séances spéciales répondent à une véritable attente du public. Par exemple, à l’occasion d’un marathon Harry Potter, on s’est aperçu qu’il y a une réelle attente des gens. Ils veulent voir ce genre de séries, ce genre de blockbusters et de réalisateur, au cinéma. C’est au cinéma que l’on voit un film dans les meilleures conditions, avec une image et un son de qualité. Je trouve que c’est aussi la meilleure façon de découvrir un film. Une véritable connexion se crée, sans perturbations. On est pris par le son, l’image, jusqu’à oublier les problèmes extérieurs. Pour une comédie, on est pris par les rires des gens autour de nous, c’est communicatif. Le cinéma, c’est un lieu de partage. On touche au social, c’est une sortie. On n’y va pas que pour voir un film. C’est un lieu culturel hors pair.
Quels sont les problématiques et les enjeux de la programmation aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il existe beaucoup de supports différents. La problématique a toujours été de programmer les meilleurs films, pour ne pas décevoir nos clients. On essaie de répondre un maximum aux attentes, de ne pas se tromper dans nos choix. Il faut que le cinéma reste fort, qu’il reste le lieu de divertissement le plus important. C’est un tout. C’est la programmation, l’accueil, la qualité de confort et de projection. Les services qu’on propose à nos clients, ça c’est les enjeux de demain.
Le cinéma a été attaqué par l’arrivée des DVD, du Blu-Ray, des plateformes comme Canal+ Netflix, Amazon… À chaque fois, c’était annoncé comme la mort du cinéma. Mais le cinéma a toujours survécu. Netflix est arrivé en France il y 6 ou 7 ans, sans pour autant faire baisser les entrées du cinéma. Les films disponibles sur Netflix uniquement, et qui ont été nommés ou primés par exemple, je pense qu’il faut se rappeler qu’ils ont été choisis après avoir été projetés dans les conditions du cinéma. Ensuite, ils sont passés directement sur Netflix. Mais je pense que rien ne vaut la découverte d’un film au cinéma. La salle de cinéma reste plus forte que la télé.
Maintenant, c’est à nous de ne pas nous reposer sur nos lauriers. Et ça, les exploitants l’ont compris, ils améliorent leurs salles, le son et l’image. On parle également de plus en plus des projections laser, parce que la luminosité dans une salle est très importante. Nous, on a innové avec les salles premiums : les salles ICE.
Comment voyez-vous l’après confinement ?
Le plus grand défi va surtout être de rassurer les spectateurs, pour qu’ils n’aient pas peur de venir. Pour cela, on est en train de mettre en place des mesures de sécurité et d’hygiène comme le port du masque conseillé dans les parties communes ou encore la jauge de 50% imposée dans les salles. On privilégie la billetterie en ligne, pour limiter au maximum les interactions avec nos agents d’accueil.
Ce qui fait la force du cinéma, c’est le contenu. Tant que la programmation ne sera pas à la hauteur de l’attente du public, les gens ne viendront pas. La reprise va surement être calme. Au 22 juin, il n’y aura que 6 nouveautés. Depuis l’annonce de réouverture, les distributeurs sont en train de revoir leur line-up. Effectivement, 3 mois ça représente 150 films qui ne sont pas sortis au cinéma. Certains films ne passeront donc pas par la case cinéma mais directement en VOD.
De toute façon, en exploitation et programmation, nous sommes tributaires de la sortie des films et nous ne sommes maitre que de la qualité de nos salles. Les problèmes se posent plus au niveau des distributeurs. Nous, on ne va pouvoir que s’adapter. S’il y a des creux de programmation, on va peut-être devoir réfléchir à des séances spéciales, des projections de grands classiques, ou des ressorties.
Quel est selon vous l’intérêt du cinéma dans notre société ?
Outre son rôle culturel et politique, le cinéma rempli une fonction sociale. Le cinéma vend du rêve, en permettant aux spectateurs de se projeter dans un lieu et une époque, voire de s’identifier à un personnage. Selon moi, la force du cinéma c’est ça. On peut être transporté. En réalité, le cinéma aborde tous les thèmes de la vie.
Je vois le cinéma comme un miroir de notre vie. Des fois, il nous permet de nous en sortir, de trouver des solutions dans nos vies. Je sais qu’il y des films que j’ai vu qui m’ont bouleversé, qui ont fait changer ma façon de vivre, ma façon d’être. Le cinéma, ça nous fait partager des émotions. Quand je vais regarder un film, j’essaie de le regarder comme un spectateur lambda. Je me mets en position de spectateur et non en position de professionnel, et j’apprécie de rentrer dans le film ou non.
Pour finir, quel est votre dernier coup de cœur cinématographique ?
J’ai eu la chance de voir le film “Miss”, de Ruben Alves, avant le confinement. C’est un très joli film, qui nous montre qu’il faut croire en ses rêves. C’est l’histoire d’un jeune homme qui veut devenir Miss France. Mais il y a tellement de choses autour, comment surmonter les difficultés, choisir ses amis, son entourage. Pour toutes ces raisons, il figurait dans nos coups de cœur. Le film sortira en salle au mois de septembre.
Les cinémas CGR ré-ouvrent leurs portes le 22 juin. Profitez des séances à 5€ jusqu’au 7 juillet, en réservant vos places sur le site internet.
Propos recueillis par Célia Taunay
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